jeudi 19 octobre 2017



L'Art de perdre, Alice Zeniter,
Flammarion, 2017


J’avais déjà beaucoup aimé Sombre dimanche. Et l’Art de perdre, le dernier roman d’Alice Zeniter, au titre initiatique, inspiré d’un poème d’Elisabeth Bishop, est un petit bijou d’humanité.

Une poignante histoire de famille, construite en trois temps qui nous transporte à la veille de la guerre pour l’Indépendance de l’Algérie jusqu'à nos jours, dans le Paris branché… Elle-même petite-fille de harkis, Alice Zeniter raconte la vie d’une famille algérienne sur plusieurs générations, en prenant soin à chaque étape de son récit, de choisir un personnage emblématique qui va porter avec lui une partie de la grande Histoire. Une histoire trouble, complexe, celle de la guerre d’Algérie, avant, pendant et après, avec toutes les blessures béantes et les cicatrices qu’elle va laisser sur les plans humain et psychologique, au sein des populations et des familles.

C’est d’abord la vie d’Ali et Yema. Ali grand et fier, propriétaire de champs d’oliviers sur la montagne. Puis c’est la naissance du FLN, tout est remis en question, les algériens doivent choisir leur camp : l’Algérie indépendante ou la France. L’hésitation d’Ali, pacifiste, perdu qui ne sait pas, qui ne veut pas choisir et qui finalement quitte avec ses enfants, son pays et ses terres pour la France, un pays inconnu, étranger, dans lequel il va se retrouver enfermé dans des camps… Puis le récit enchaîne sur la vie d’Hamid, fils d’Ali, enfant arraché de son pays, qui vivra les camps puis la cité. Hamid qui refusera de renouer avec ses origines et même d’en parler. Ce silence c’est Naïma, fille d’Hakim qui le porte jusqu’à ce que le destin la conduise à revenir sur les terres familiales.

Le talent d’Alice Zeniter est justement de savoir avec finesse et empathie, prendre tour à tour les différents points de vue de ses personnages, nous dévoiler des portraits tellement attachants et nous les faire connaître et sentir avec une telle justesse, qu’on ne peut qu’être touchés jusqu'aux larmes.

Une petite phrase fonctionne comme un refrain tout au long du roman pour illustrer ce qui ne s’explique pas, lorsque la vie humaine est prise dans les flots et les remous de l’Histoire, le mektoub s’accomplit et rien ne peut l’en empêcher : « Autant chercher les racines du brouillard ».

L’art de perdre c’est faire en sorte que la perte ne se transforme pas en oubli. L’art de perdre c’est laisser la porte entrouverte à l’autre, quand l’incompréhension, le silence et la honte empêchent de transmettre un passé trop lourd. L’art de perdre c’est faire confiance au temps, à l’expérience, à la résilience lente et douloureuse mais toujours possible, tant qu’il y a la vie…


Décidément, mon livre préféré de cette rentrée littéraire 2017 ! (Stéphanie, Médiathèque de Thann)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous souhaitez réagir sur cet article ? N'hésitez pas à me laisser un commentaire...