L'Art de perdre, Alice Zeniter,
Flammarion, 2017
J’avais déjà beaucoup aimé Sombre dimanche. Et l’Art de perdre, le
dernier roman d’Alice Zeniter, au titre initiatique, inspiré d’un poème
d’Elisabeth Bishop, est un petit bijou d’humanité.
Une poignante histoire de
famille, construite en trois temps qui nous transporte à la veille de la guerre
pour l’Indépendance de l’Algérie jusqu'à nos jours, dans le Paris branché… Elle-même petite-fille de harkis, Alice Zeniter raconte la vie
d’une famille algérienne sur plusieurs générations, en prenant soin à chaque étape
de son récit, de choisir un personnage emblématique qui va porter avec lui une partie
de la grande Histoire. Une histoire trouble, complexe, celle de la guerre
d’Algérie, avant, pendant et après, avec toutes les blessures béantes et les cicatrices
qu’elle va laisser sur les plans humain et psychologique, au sein des
populations et des familles.
C’est d’abord la vie d’Ali et Yema. Ali grand et fier,
propriétaire de champs d’oliviers sur la montagne. Puis c’est la naissance du FLN, tout est remis en question, les algériens
doivent choisir leur camp : l’Algérie indépendante ou la France.
L’hésitation d’Ali, pacifiste, perdu qui ne sait pas, qui ne veut pas choisir
et qui finalement quitte avec ses enfants, son pays et ses terres pour la
France, un pays inconnu, étranger, dans lequel il va se retrouver enfermé dans
des camps… Puis le récit enchaîne sur la vie d’Hamid, fils d’Ali, enfant arraché
de son pays, qui vivra les camps puis la cité. Hamid qui refusera de renouer
avec ses origines et même d’en parler. Ce silence c’est Naïma, fille d’Hakim
qui le porte jusqu’à ce que le destin la conduise à revenir sur les terres
familiales.
Le talent d’Alice Zeniter est justement de savoir avec finesse et
empathie, prendre tour à tour les différents points de vue de ses personnages,
nous dévoiler des portraits tellement attachants et nous les faire connaître et
sentir avec une telle justesse, qu’on ne peut qu’être touchés jusqu'aux larmes.
Une petite phrase fonctionne comme un refrain tout au long du
roman pour illustrer ce qui ne s’explique pas, lorsque la vie humaine est prise
dans les flots et les remous de l’Histoire, le mektoub s’accomplit et rien ne
peut l’en empêcher : « Autant chercher les racines du brouillard ».
L’art de perdre c’est faire en sorte que la perte ne se transforme
pas en oubli. L’art de perdre c’est laisser la porte entrouverte à l’autre, quand
l’incompréhension, le silence et la honte empêchent de transmettre un passé
trop lourd. L’art de perdre c’est faire confiance au temps, à l’expérience, à
la résilience lente et douloureuse mais toujours possible, tant qu’il y a la
vie…
Décidément, mon livre préféré de cette rentrée littéraire 2017 ! (Stéphanie, Médiathèque de Thann)
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