dimanche 11 mars 2018


Alma, J.M.G. Le Clézio,
Gallimard, 2017


Dans ce roman qui raconte l'histoire d'une île et la mémoire des êtres qui l'ont peuplée, deux voix narratives s'entremêlent.

D'abord, celle de Jérémie Felsen, double de l'auteur, qui part à l'Île Maurice, sur les traces de ses ancêtres, propriétaires déchus d'un domaine de production de canne à sucre. Lors de ce voyage initiatique, Jérémy fait aussi des recherches sur l'oiseau emblématique de l'île : le "Raphus cucullatus" plus connu sous le nom du fameux dodo. Le Clézio évoque avec compassion la mémoire de cet oiseau emblématique et attendrissant, qui fut tué à coups de pierres par les hommes et disparut à jamais de la terre. Le dodo, surnommé "l'oiseau de nausée" par les Hollandais tant sa chair n'était pas bonne à manger, reste le symbole de la tragique capacité de l'humain à détruire.

La seconde conscience est celle de Dominique, justement surnommé Dodo, clochard céleste, défiguré par la syphilis. Cet  éclopé de la vie fut l'un des ancêtres de Jérémie, rejeton d'une branche honnie de la famille. Son visage rongé par la maladie, effraie les enfants qu'il essaie d'amuser en léchant son oeil d'un coup de langue. Dominique fera le chemin inverse de Jérémie puisqu'il part de l'Île Maurice pour venir vivre à Paris.

Jérémie part à la rencontre des habitants de l'île qui détiennent des informations sur sa famille. Au fil de ses visites, l'auteur ravive le passé esclavagiste de l'île, bien loin des clichés actuels d'un lieu touristique et paradisiaque. Les échos de la souffrance des esclaves hantent le roman. Depuis la plage où vit Jeanne Tobie, dite la Surcouve, il aperçoit le Morne Brabant. Aujourd'hui, paradis des randonneurs ; hier, refuge des marrons. Sa tante Emeline lui parle de Bras d'eau, "la gueule de l'enfer", la "prison des noirs". Aditi lui fait découvrir sa forêt et son pink pidgeon, menacé lui aussi d'extinction. C'est aussi l'histoire de Krystal, lolita sauvage et indomptable. Vient s'intercaler le récit poignant de Marie Madeleine Mahé, la fille naturelle du Gouverneur des îles de France et Bourbon, qui mène une vie de désolation après avoir été abandonnée.

Autant de portraits, autant d'histoires profondément émouvantes, habitées par des personnages touchants qui nous deviennent tous familiers. Par un fourmillement de descriptions visuelles et sensorielles, le récit vibrant et palpable, prend vie sous nos yeux. Un roman lyrique, empreint de milliers d'odeurs, au plus près de l'humain et de la nature. Savourez ce livre-hommage inoubliable ! (Stéphanie, Médiathèque de Thann)

Quelques citations :

Les noms apparaissent, disparaissent, ils forment une voûte sonore, ils me disent quelques chose, ils m'appellent, et je voudrais les reconnaître, un par un, mais seule une poignée me parvient, quelques syllabes dérisoires, arrachées aux pages des vieux bouquins et aux dalles des cimetières.

Voyager, c'est avoir les yeux ouverts quand tout le monde dort.

Les gros oiseaux sont arrêtés au bord de la forêt, leur oeil rond se couvre d'une taie, la fumée de la nuit pèse sur leur tête et ils enfouissent leur bec géant sous leurs moignons d'ailes, ils s'endorment. Dans la forêt résonnent des cris inconnus, des aboiements, des appels. Les miliciens redescendent vers la côte, les singes jappent. Encore quelques battements. Encore quelques nuits, avant que l'ère des oiseaux s'achève.

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