vendredi 4 janvier 2019



Le Lambeau, Philippe Lançon,
Gallimard, 2018


7 janvier 2015 : attentat de Charlie Hebdo. Le journaliste de Libération, Philippe Lançon, travaille ce jour-là avec l'équipe de Charlie. Il perd tous ses compagnons de rédaction, lui aura la mâchoire arrachée. Gueule cassée qui doit sa survie à avoir fait le mort, baignant dans la mare de son propre sang.

Le Lambeau est un témoignage absolument bouleversant et inoubliable. Le lambeau en chirurgie, est le morceau de chair prélevé sur la jambe, qui va être recousu pour former un nouveau menton et permettre la reconstruction du bas du visage. Le lambeau c'est aussi ce qui reste de ce que l'on a arraché, déchiqueté, lacéré… Et c'est bien tout le sujet du roman : comment se reconstruire après un tel drame, physiquement et intérieurement ? Comment rester vivant alors que les autres ne sont plus ? Comment croire encore à la vie après tant de violence ?

Et l'auteur nous raconte sa longue et lente remontée des enfers, sa vie à l'hôpital, sa relation avec les infirmières, avec Chloé, sa chirurgienne. A la suite de sa famille et de ses amis qui défilent dans sa chambre de l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, puis plus tard des Invalides, le lecteur a l'impression d'être à son chevet. Tant de passages sont émouvants, notamment celui sur ses vieux parents, pour lesquels l'auteur est plein d'amour et presque de culpabilité de leur faire subir cette souffrance à leur grand âge. C'est la reconstruction douloureuse et laborieuse de la mâchoire, de la bouche, des lèvres. Condamné à écrire sur son ardoise, il revisite son rapport au langage et à l'écriture. Lui qui ne peut plus parler, ni manger, ni sourire.

Une multitude de références musicales, littéraires, cinématographiques, picturales viennent émailler le texte afin de révéler et éclairer cette éprouvante traversée. L'auteur nous livre un récit pudique, non dénué d'humour et sans concession sur ses douleurs physiques, sa souffrance mentale, son expérience de la solitude. Le Lambeau c'est aussi le passage dans une autre vie, la métamorphose de cet homme qui ne sera plus jamais le même.

J'ai été profondément touchée par ce roman éprouvant, mais qui diffuse paradoxalement beaucoup de calme et de douceur. Je sors de cette lecture ébranlée, remuée de l'intérieur pour avoir été témoin, grâce à la littérature, d'une expérience humaine extrême, avec laquelle je me sens plus que jamais en fraternité. (Stéphanie, Médiathèque de Thann)

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